
Pourquoi je n’ai pas d’émotions
- Marie Christine

- 3 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 août
Il y a des jours où on se sent vide. Ni bien, ni mal. Juste… rien. Pas de colère, pas de peine, pas de joie non plus. On fonctionne, on répond aux messages, on fait ce qu’il faut. Mais à l’intérieur, ça sonne creux.
C’est pas qu’on ne veut pas ressentir. C’est juste que ça ne vient pas. On ne pleure pas. On ne se fâche pas. On ne saute pas de joie non plus. On regarde les autres réagir, s’émouvoir, pleurer devant un film ou s’énerver pour un truc banal, et on se demande : pourquoi moi, je ne ressens rien?
Cet article n’est pas un diagnostic. C’est une exploration. Une invitation à aller doucement voir ce qui se passe derrière ce silence intérieur.
Est-ce que c’est « normal » de ne pas ressentir d’émotions?
Oui… et non.
Oui, parce que ça arrive à beaucoup de gens. Ce n’est pas un problème en soi. Ce n’est pas une preuve que tu es brisé. Le corps et l’esprit ont parfois besoin de faire une pause.
Mais non, dans le sens où les émotions font naturellement partie de l’expérience humaine. Quand elles semblent absentes, il y a souvent une raison. Et c’est en allant voir cette raison-là qu’on peut recommencer à sentir — tranquillement.
Première piste : le mode survie
Quand on traverse une période difficile, notre cerveau se met en mode économie d’énergie. Il coupe ce qui n’est pas urgent. Il garde l’essentiel : manger, dormir (à peu près), se lever, faire ce qu’il faut pour survivre.
Les émotions, dans ce mode-là, deviennent secondaires. Trop de douleur, trop de stress, trop de fatigue? On se protège en se coupant un peu de ce qu’on ressent.
C’est pas volontaire. C’est une stratégie de protection.
Mais plus le mode survie dure, plus il devient notre nouvelle normalité. Et un jour, on se rend compte qu’on ne ressent plus grand-chose… même quand ça irait mieux.
Deuxième piste : les émotions, on ne nous a pas appris
Beaucoup de gens ont grandi dans des familles ou des milieux où les émotions n’étaient pas les bienvenues.
« Arrête de pleurer. »
« T’as pas de raison d’être fâché. »
« Tu dramatises. »
« Sois fort. »
À force d’entendre ça, on apprend à se couper de ce qu’on ressent. Pas parce qu’on ne ressent rien, mais parce qu’on pense que ce n’est pas “correct” de le montrer… ou même de le ressentir tout court.
Et si, au fond, tu avais encore des émotions, mais que tu ne les reconnaissais plus? Que tu les avais mises en sourdine depuis si longtemps qu’elles n’osent plus sortir?
Troisième piste : les traumatismes
Un trauma, ce n’est pas forcément un grand drame. Ça peut être une accumulation de petites choses, un choc qu’on n’a pas pu digérer, un sentiment de ne pas avoir été écouté, protégé, respecté.
Le cerveau, pour nous protéger, peut alors geler certaines émotions.
Pas par paresse. Pas par faiblesse. Par mécanisme de survie.
Mais le problème, c’est que ce gel ne fait pas de tri. Il ne bloque pas juste la tristesse ou la peur. Il bloque aussi la joie, l’enthousiasme, le plaisir.
On finit par vivre en noir et blanc, dans un monde qui semble émoussé.
Quatrième piste : l’anxiété ou la dépression masquée
Certaines formes de dépression ou d’anxiété ne se manifestent pas par de la tristesse ou de la panique, mais par l’apathie. Un mot qui veut dire « absence d’émotion », ou plutôt, « absence de réponse émotionnelle ».
Tu n’es pas triste, mais tu n’es pas bien non plus.
Tu n’es pas fâché, mais tout t’indiffère.
Tu ne ressens pas grand-chose, même quand il se passe quelque chose d’important.
Cette impression de vide peut être un symptôme d’un mal plus profond, même si tout semble “aller bien” autour de toi.
Cinquième piste : la fatigue émotionnelle
Parfois, ce n’est pas que tu n’as pas d’émotions.
C’est que tu es épuisé de les avoir trop ressenties.
Trop de colère retenue, trop de tristesse accumulée, trop de stress refoulé… à un moment donné, le système sature.
C’est comme si ton corps disait : « Stop. J’ai besoin de repos. »
Tu ne ressens plus rien non pas parce que tu es vide, mais parce que tu es plein. Trop plein. Et ton système émotionnel a tiré sur le frein d’urgence.
Comment recommencer à ressentir?
Tu n’as pas besoin de forcer. Ni de “t’améliorer”. Ni de te juger.
Mais tu peux commencer, doucement, à te reconnecter à toi.
Voici quelques pistes simples :
1. Revenir dans le corps
Les émotions ne vivent pas dans la tête. Elles vivent dans le corps.
Essaie des choses comme :
marcher lentement, en prêtant attention à tes pas
respirer profondément et observer ce que tu ressens
bouger en musique, même doucement
prendre une douche chaude en portant attention aux sensations
Plus tu te reconnectes au corps, plus tu donnes une chance à tes émotions de remonter.
2. Nommer sans analyser
Tu n’as pas besoin de tout comprendre tout de suite. Tu peux juste mettre des mots simples :
« Je me sens vide. »
« Je ne ressens rien et ça m’inquiète. »
« Je crois que j’ai besoin de me retrouver. »
Juste ça, c’est déjà un mouvement vers toi.
3. Réduire le bruit
Quand tout va trop vite, quand on est toujours occupé, sollicité, dérangé, il n’y a plus d’espace pour sentir.
Essaie de créer des petites bulles de silence :
éteindre le téléphone une heure
marcher sans musique
écrire quelques phrases dans un cahier
rester assis deux minutes sans rien faire
Les émotions, parfois, attendent juste qu’on les écoute.
4. Observer les petits signes
Parfois, l’émotion ne revient pas comme une vague. Elle revient comme un frisson, un soupir, une boule dans la gorge, une larme qui monte sans prévenir.
C’est subtil. C’est fragile.
Mais c’est réel.
Quand tu remarques un de ces signes, ne le chasse pas. Dis-lui : je te vois. Et laisse-le passer, même juste quelques secondes.
5. Se faire accompagner
Tu n’es pas obligé de faire ça seul. Il existe des personnes formées pour accompagner doucement ce retour à soi : intervenants, thérapeutes, groupes de soutien.
Parler à quelqu’un qui ne te juge pas, qui t’écoute pour vrai, ça peut faire une énorme différence.
Parfois, c’est la relation qui permet à l’émotion de revenir.
Et si tu ne ressens rien… pour l’instant?
C’est correct.
Ce n’est pas une faute. Ce n’est pas une preuve que tu es froid, insensible ou foutu. C’est peut-être juste un mécanisme de survie qui a trop duré. Ou une blessure qui a figé certaines parties de toi.
Le fait que tu poses la question, que tu sois ici, que tu lises cet article… c’est déjà un signe que quelque chose en toi veut ressentir à nouveau.
Et ce quelque chose-là, aussi petit soit-il, mérite toute ton attention.
Ne pas ressentir d’émotions, ce n’est pas un vide. C’est un message. Un appel. Une demande de retour à soi.
Tu ne peux pas forcer une émotion. Mais tu peux créer un espace sûr pour qu’elle revienne.
Petit à petit. Un soupir à la fois. Une larme. Un sourire. Un frisson. Un souvenir. Un mot.
Et un jour, sans que tu t’en rendes compte, tu ne te sentiras plus « vide ».
Tu te sentiras vivant.


